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De nouveaux droits pour les personnes en fin de vie

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Certains événements sont par essence inéluctables, autant préparer son scénario pour une sortie digne ! Les affaires Bonnemaison(1) et Lambert(2), grâce à leur médiatisation, ont réellement fait avancer et nourri les débats parlementaires sur la loi dite « Claeys-Leonetti » du 2 février 2016 créant de nouveaux droit en faveur des malades et des personnes en fin de vie. Ces différentes évolutions semblent avoir contribué à définitivement briser le tabou entourant la fin de vie en France.

La loi Claeys-Leonetti a été complétée par des textes réglementaires du 3 août 2016 qui encadrent l’expression et la conservation des directives anticipées afin que les choix exprimés par toute personne majeure pour sa fin de vie soient connus et respectés. Ces dispositifs incitent toute personne à se prononcer sur les conditions de sa fin de vie pour éviter notamment les déchirements de la famille et des proches ainsi que les tourments de la justice à l’œuvre notamment dans l’affaire Lambert.

La personne en fin de vie

L’article L.1111-10 du Code de la santé publique définit la personne en fin de vie comme une personne « en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable». Plusieurs lois sont intervenues successivement pour permettre aux malades de mieux vivre leur fin de vie : les lois Kouchner du 9 juin 1999 et du 4 mars 2002 relatives aux droits des malades et à la qualité du système de santé et la loi Leonetti du 22 avril 2005 relative aux droits des malades en fin de vie. Ces dispositifs légaux consacraient déjà le droit de mourir dignement, le droit à la nonsouffrance, celui d’être accompagné notamment à domicile dans les soins palliatifs, celui de refuser l’obstination déraisonnable dans la poursuite des soins et le droit à la prise en compte des directives anticipées du patient.

Néanmoins, ce socle légal était encore insuffisant pour permettre aux patients d’être effectivement accompagnés jusqu’au bout de leurs souffrances en toute légalité. Ainsi, si la loi Leonetti de 2005 permettait l’arrêt ou la limitation des soins, elle ne prévoyait pas la prise en charge des patients agonisant à la suite de l’arrêt ou de la limitation de leurs soins (tel que dans l’affaire Bonnemaison). C’est désormais chose faite : la loi dite Claeys-Leonetti du 2 février 2016 permet au médecin de procéder à la sédation profonde et continue.

Le droit à la sédation profonde et continue pour la personne en fin de vie Les actes de soins, lorsqu’ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou lorsqu’ils n’ont d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris, conformément à la volonté du patient. Si celui-ci n’est pas en d’état d’exprimer sa volonté, une telle décision peut être prise à l’issue d’une procédure collégiale. Auparavant, la législation ne prévoyait pas clairement la prise en charge par l’équipe médicale des quences du choix d’arrêter les soins, l’hydratation et/ou la nutrition artificielle. Désormais, le législateur considère que, dans la mesure où toute personne a le droit d’avoir une fin de vie digne et d’être accompagnée du meilleur apaisement possible de la souffrance, les professionnels de santé doivent mettent en œuvre tous les moyens à leur disposition pour que ce droit soit respecté.

En ce sens, le médecin met en place l’ensemble des traitements analgésiques et sédatifs pour répondre à la souffrance du malade, même s’ils peuvent avoir comme effet d’abréger la vie. Ainsi, à la demande du patient, le médecin peut mettre en œuvre une sédation (état d’inconscience) profonde et continue jusqu’au décès, associée à une analgésie et à l’arrêt de l’ensemble des traitements de maintien en vie lorsque :

• le patient, atteint d’une affection grave et incurable et dont le pronostic vital est engagé à court terme, présente une souffrance réfractaire aux traitements ;

• le patient, atteint d’une affection grave et incurable dont le pronostic vital est engagé à court terme, décide d’arrêter un traitement qui est susceptible d’entraîner une souffrance insupportable.

Si le patient n’est pas en mesure d’exprimer sa volonté, la sédation profonde consécutive à l’arrêt des soins ne peut être décidée que selon une procédure collégiale. Aux termes de la loi, même si la sédation a pour effet d’entraîner la mort, son objet est de mettre fin aux souffrances consécutives à l’arrêt des traitements. Si la loi n’autorise ni l’euthanasie ni le suicide assisté, la nuance est très subtile entre la sédation ainsi envisagée et l’euthanasie, considérée comme une pratique humaniste ayant pour objet de provoquer la mort d’une personne incurable qui souffre à l’agonie.

La loi Claeys-Leonetti du 2 février 2016 a été complétée par des textes règlementaires : un décret d’application (n° 2016-1066) précisant les conditions d’organisation de la procédure collégiale encadrant les décisions des médecins s’agissant des malades et personnes en fin de vie ; un autre décret d’application (n° 2016-1067) et un arrêté ministériel datés des 3 août 2016 relatifs aux directives anticipées.

L’obligation de respecter les directives anticipées

Toute personne majeure peut rédiger des directives anticipées pour le cas où elle serait un jour hors d’état d’exprimer sa volonté. Les directives anticipées ont pour objet d’énoncer la volonté de la personne quant à sa fin de vie. Elles peuvent préciser les conditions de la poursuite, de la limitation, de l’arrêt ou du refus des traitements, actes ou soins médicaux. La loi du 2 février 2016 fixe comme principe l’obligation de respecter la volonté exprimée par la personne pour sa fin de vie : « les directives anticipées s’imposent au médecin pour toute décision d’investigation, d’intervention ou de traitement » (Article 1111-11 du Code de la santé publique).

Il existe deux exceptions à l’obligation faite au médecin de respecter les volontés du malade : il peut refuser de suivre les directives anticipées en cas d’urgence vitale (pour pouvoir procéder à une évaluation complète de la situation du patient) et lorsque les directives anticipées apparaissent manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale. Dans ce dernier cas, le refus de mettre en œuvre la volonté du patient est décidé à l’issue d’une procédure collégiale.

Les directives anticipées sont désormais valables sans limitation de durée et peuvent être révisées à tout moment, alors qu’avant la loi Claeys-Leonetti, elles étaient valables trois ans et étaient uniquement révocables. Le législateur a adopté un ensemble de mesures favorisant la formulation expresse, la récolte et la conservation des directives anticipées, de sorte à ce que les professionnels de santé puissent y accéder facilement au moment opportun.

L’expression ou la rédaction de directives anticipées n’est pas obligatoire. Lorsqu’elles sont écrites, elles peuvent être rédigées sur papier libre. Pour inciter et faciliter la formulation expresse de celles-ci, le Ministre des affaires sociales et de la santé propose deux modèles pour leur rédaction qui sont publiés dans un arrêté ministériel du 3 août 2016. Les deux versions diffèrent selon que la personne sait ou non qu’elle est atteinte d’une maladie grave ou incurable au moment où elle rédige ses directives. Un fichier national des directives anticipées est créé (50, rue de Chabrol – 75010 Paris) et celles qui sont adressées à cette adresse sont archivées.

En outre, les directives anticipées peuvent être conservées dans le dossier médical partagé de chaque personne, par le médecin de ville, dans le dossier médical de l’établissent hospitalier ou médico-social d’accueil, par une personne de confiance ou encore par l’auteur des directives lui-même. Quel que soit le moyen choisi, il convient de s’assurer que les directives anticipées soient expressément formulées pour éviter les difficultés d’interprétation et les témoignages divergents, et qu’elles soient aisément accessibles le moment venu. Ces dernières modifications textuelles relatives à la fin de vie devraient favoriser une prise de conscience et inciter une réflexion collective et individuelle sur la fin de vie. Néanmoins, compte tenu de la réticence toute naturelle que l’on éprouve à anticiper cette période, une question demeure : de la loi et de la société, qui s’adapte à quoi ?

(1) L’affaire Bonnemaison: Nicolas Bonnemaison, urgentiste a été poursuivi pour empoisonnement pour avoir abrégé la vie de sept de ses patients en phase terminale ou incurable par des injections ayant entraîné leur décès. D’abord acquitté pour l’intégralité des faits qui lui étaient reprochés, par la Cour d’Assisses d’Angers le 25 juin 2014, aux motifs qu’il avait recherché, de bonne foi, par sédation, à soulager ses patients atteints
d’affections graves et reconnues comme incurables pour lesquelles les traitements avaient été arrêtés préalablement, ce médecin a finalement été condamné par la Cour d’Appel d’Angers pour empoisonnement de l’un de ses 7 patients.

(2) L’affaire Lambert : Vincent Lambert est un patient tétraplégique dans un état végétatif depuis un accident de la circulation dont il a été victime en 2008. En 2013, l’équipe médicale décide de mettre fin à ses soins avec l’accord de son épouse. Cette décision se heurte à l’opposition d’une partie de la famille, et notamment des père et mère qui refusent l’arrêt de l’alimentation et l’hydratation artificielle. Vincent Lambert n’avait pas clairement fait part de directives anticipées vérifiables. Cette affaire qui a débuté en 2013 n’est pas résolue et fait encore l’objet de plusieurs procédures.

Maître Judith DUPEROY-PAOUR Avocat au Barreau de Paris www.ledroitdesseniors.fr